Mon père, cet artiste

Mon père est décédé. Il me faut prendre ce temps du deuil et faire face au vide. Le roman graphique se met donc en pause et reviendra dès que possible.

Giuseppe Gallo, dit Peppino — ou Pépin pour les Français —, est né un 2 juillet 1933 à Collesano, un village situé dans le magnifique parc naturel des Madonie, dans la province de Palerme en Sicile.

Sa mère est Teodora Jacuzzi, née dans une famille qui possède de la terre ; son père, Francesco Gallo, est l’instituteur du village. Il a une sœur ainée, Maria, qu’il admire.

Giuseppe grandit dans les collines de Collesano, aimant s’y promener. Même s’il vit à une dizaine de kilomètres de la mer, il ne l’a voit pour la première fois qu’à l’âge de 12 ans. Et il aima profondément la mer.

Giuseppe aura plusieurs aspirations, dont celle de devenir artiste peintre. Il obtiendra son diplôme de droit tout en continuant à fréquenter des peintres et une société bohème qui se réfugie sur les iles grecques.

Il quitte les terres siciliennes sur les conseils de sa mère : « Pars de la Sicile, sinon tu deviendras fou. » Giuseppe voyage vers le nord avec son ami Ettore sur une Vespa, de Paris à la Suède et enfin au Luxembourg où il s’installe pour entrer au Parlement européen.

Le « beau Peppino » y rencontre la jeune et belle Mélanie Schiltz, qui tombe amoureuse, puis enceinte… Ils se marient en novembre 1965. De cette union naissent deux filles : Vanina (1966) et Isabelle (1968).

Porté par un élan de construction, notamment européenne, Giuseppe mènera une vie faite d’ambitions sociales et intellectuelles — en témoigne sa bibliothèque fournie qui va de l’éducation des chiens à la religion, en passant par l’alpinisme, l’histoire de l’art, la philosophie… et le savoir-vivre dans les palaces —, agrémentée de moment festifs en compagnie de leurs amis italiens, français ou luxembourgeois. Car Mélanie et Giuseppe forment, pour leur amis, un couple charmant avec lequel partager des moments complices.

À sa retraite, Giuseppe prend ses quartiers à Crans-Montana, dans les montagnes suisses. Là, il aura tout le loisir de peindre la montagne et les reflets qui s’y matérialisent, et autres sujets de prédilection comme la vie, la mort, le couple et Dieu.

Giuseppe est un homme complexe, dense, d’une présence pleine et puissante, à la parole logorrhéique, partageant sans relâche ses réflexions et obsessions, cherchant inlassablement une forme de paix intérieure. Tel le dieu grec Poséidon, il peut être calme ou déchainé comme la mer, ce royaume mouvant des émotions ; capable de profondeur et apte à exprimer le sens de l’immensité et du sublime, à l’image du merveilleux monde sous-marin fait de couleurs chatoyantes et de mille reflets.

Giuseppe a été un formidable ami, loyal et généreux, aimé pour ses sages et spirituelles paroles — « Un jour, même les chiens parleront » reste à jamais gravé dans la mémoire de certains —, apprécié pour divertir et charmer par son esprit, respecté pour apporter profondeur et rigueur à la plus anodine des conversations.

Mi-sage, mi-filou… Il a marqué la vie de ceux qu’il a croisés par la force de son esprit, laissant derrière lui une grande sensibilité qui interpelle, suscitant toujours la réflexion et la prise de conscience, un sourire espiègle et charmeur qui a fait des ravages, une bonté de cœur qui ne demandait qu’à s’exprimer, un impétueux appétit pour la vie et ses mystères, capable de profondeur et apte à exprimer le sens de l’immensité et du sublime.

Pour moi, papa, tu es celui qui a coloré mon enfance en venant me réciter « Notre Père » tous les soirs pour me rassurer et m’aider à m’endormir. Tu es celui qui a montré fièrement à ton ami un de mes dessins en le complimentant, ce qui a tracé en quelque sorte ma destinée. Tu es celui avec lequel je parcourais les collines autour de notre maison à Oberanven, notamment à Noël à la recherche d’un sapin à découper. Celui avec lequel nous avons construit un bateau de pirates dans notre jardin pour y jouer. Tu es celui qui me relie à l’Italie, à ces vacances aux sonorités et saveurs si intimes et familières, aux films de Fellini et à Marcello Mastroianni qui me faisait tant penser à toi. Et puis à la Suisse que j’ai appris à aimer. Tu es celui qui m’a inspiré à nourrir la recherche et l’expression de la vérité et de la beauté, tout simplement…

Mon père m’a transmis des choses précieuses comme ne pas se prendre trop au sérieux, une certaine humilité qui pousse à cultiver une saine dose de folie.

Il a souvent déclaré ne pas avoir peur de la mort. Giuseppe est décédé paisiblement le 23 mars 2024, préférant mourir plutôt que de céder à un acharnement thérapeutique.

Aujourd’hui son corps est enterré dans ce délicieux cimetière de Randogne (à côté de Crans-Montana), un lieu ensoleillé avec vue sur les montagnes, ces montagnes qu’il aimait tant. Aujourd’hui il repose dans les hauteurs, libéré de toutes les lourdeurs de la vie matérielle. Paix à son âme, qu’elle s’élève légère et joyeuse.